Immobile été (extraits)
revue ARPA, n°79, février 2003éveillé la nuit,
le clapotis des vagues pour rumeur du monde,
mol balancement de fatigues et de riens
que traverse une clarté nouvelle.
Quelle réminiscence du jour ?
Quelle échappée de lumière se baigne ainsi dans la nuit ?
Nuit de Grèce, nuit de lune
ronde
souple foulée des flots
pieds nus et pâles se tordent glissent viennent s’évanouissent
sur la scène immobile
miroitent
prélude rituel à quelque danse de bacchanales dans la clairière de la nuit,
autels et colonnes délaissés, temple d’eau,
théâtre de l’éphémère, de l’insaisissable,
îlot de lueur
et ronde absence de divinités.
Ce soir, la mer est coiffée d’une palme
elle monte d’un pas de deux
sur ses lèvres flotte
un sourire de lune
Il a maintenant conquis le plateau, après la Grèce et la mer.
Chauffé à blanc dans la combe, il a posé sa patte brûlante sur l’adret de la montagne avant de strier griller le plateau du feu de ses griffes. Il s’est même engouffré dans la chapelle, abside trouée. La Vierge, qui a des cheveux d’herbe et des veines radicelles sur les mains, ne peut s’y opposer.
L’été halète. Il est au sommet de sa course.
Il fume.
La terre durcit. Les cailloux sont plus blancs, la poussière retombée, faute de pas et de roues sur le chemin en sommeil. Sur son crâne pierreux, débordent les talus hirsutes. Un papillon se saoule des fleurs offertes. Les abeilles pétillent dans les couleurs et les sucs. Il ne reste plus que le tumulte des insectes, celui des hommes est loin. Le papillon voltige de plus belle.
Le vieil olivier a posé un genou à terre. L’autre genou continue de porter le feuillage gris dans un nœud de muscles grimaçants. Pépiement intermittent d’oiseaux. Le bleu azur s’est voilé de craie. La chaleur n’en finit pas de grossir. La musaraigne s’est réfugiée dans le foin. Le faucon plane, dans l’attente qu’il soit coupé. La bastide bâtit son ombre et tente d’y reposer son corps.
L’été transpire toute sa force et sa paresse.
Sur le plateau de lumière, herbes jaunies orge blond de l’après-midi. Le mauve ondoie, les repousse dans ce qui est arête et aridité. Mer de lavande. Pas étincelante ni cuivrée comme la mer. Plus sombre que le ciel. Mauve agreste, simple et profond, pour lui-même, qui boit toute velléité d’éclat. L’été boursouflé a crevé pour une plane et mauve immobilité. Il s’y contemple, apaisé du visage tendre, sombre, un brin taciturne, qu’il y voit.
Un îlot de bruit, là-bas, à l’horizon qui rougeoie. C’est le moteur de la faucheuse-lieuse. Elle travaille pour la distillerie. Elle a, comme une grosse caille qui voudrait s’envoler, un mouvement d’aile contre son flanc. Le bruit est encore loin mais il est déjà là. Il grignote le plateau mais il a brusquement accéléré le temps arrivé en lisière où il bourdonne. Cette vague soudaine a rétréci la mer. Le temps a maintenant repris sa marche de long en large. Ses ailes mécaniques continuent de tondre avec application la lavande et l’été. Lui aussi ne sera plus qu’un parfum, une essence d’un moment enfui.
Le jour décline.
L’ombre monte.
La masse de la montagne rejoint le ciel obscur. La musaraigne sort de sa cache. Elle se faufile entre les cailloux et retrouve le buisson. Je prends moi aussi le chemin du retour. Dans une nuit sans lune.